Sloss, the Magic City
Les photographies de Cyril Bailleul, prises dans l’une des plus grandes fonderies de la planète, à Birmingham, Alabama, fermée depuis 1970, ne montrent nullement la déchéance et la mort d’un site industriel. Elles aident à entrevoir une partie des vies qui ont animé l’industrialisation, et qui continuent à hanter notre planétarité.
En deçà des humains, ce sont les vies propres à chaque matériau, qui poursuit son vieillissement naturel, indifférent aux aléas de l’économie et à l’arrêt des machines. La rouille multiplie les variations de couleurs et de textures. La chaleur et l’humidité estivales font toujours suer l’acier.
L’agitation du travail s’est déportée ailleurs, mais les formes demeurent dans leur taille surhumaine et leur monumentalité enfin reconnue – selon le proverbe italien voulant que les dieux s’en aillent, mais que les enragés restent. Enfin libérés de leur fonction productrice et prédatrice, ces tuyaux, ces roues et ces silos trônent désormais en paix, enfin sereins, pour laisser entendre les souffles du vent dans le silence des machines.
Mais, sous le regard de Cyril Bailleul, la vie des matières et la pérennité des formes ne sont que le décor extérieur d’une scène où se joue et se rejoue sans fin, entre chaque lever et chaque coucher de soleil, un drame dont John Coltrane a insufflé les douleurs et les beautés dans sa composition Alabama. Au-delà de l’attentat commis par le Ku Klux Klan contre une église baptiste luttant pour la défense des droits civils le 15 septembre 1963, la fonderie aujourd’hui silencieuse vibre encore, comme le piano de McCoy Tyner, de toutes les peines et de toutes les joies d’une population noire qui composait 70% de la main d’œuvre de SLOSS.
Après quelques vues d’ensemble donnant le vertige de l’énormité de ce complexe industriel, qui a terraformé notre planète en forgeant l’acier d’innombrables ponts et gratte-ciel, ces photographies plongent bientôt dans l’ombre de masses obscures, à l’échelle parfois indécidable, où notre regard s’immerge dans des nuanciers déroutants.
Vingt ans après la construction de SLOSS, W.E.B. Du Bois affirmait que « le problème du XXe siècle est celui de la ligne de couleur » (the color line). Cinquante ans après la fermeture des usines de Birmingham, Cyril Bailleul ravive la mémoire des travaux et des jours du peuple noir en explorant les infinies tonalités et les bouleversantes beautés d’une blackness dont les coloris se réinventent et se redécouvrent dans chaque image. Toujours teintés d’ocre et de rouille, les rouges, les bleus, les jaunes affirment la persistance des vies noires jusque dans la patine des matériaux – inventant une autre déclinaison possible de Black Lives Matter.
Le saxophone de John Coltrane comme la prédiction de W.E.B. Du Bois continuent à résonner en nous et autour de nous. Leur noirceur rayonnante ne se contente pas de hanter notre monde présent : comme l’énigmatique roue que Cyril Bailleul saisit derrière un vitrage embué, traversé par une chaîne et cadenassé par des verrous en apparence inamovibles, cette noirceur attire et oriente irrésistiblement notre regard, riche d’une promesse lointaine et pourtant si proche.
Derrière la magie blanche de la ville industrielle, vaincue par l’impitoyable concurrence du capitalisme globalisé, derrière les violences imposées aux corps africains par la triple oppression de l’esclavage, des cadences et du Ku Klux Klan, l’attention du photographe donne matière à une magie noire dont il révèle la résurgence obstinée, tranquille et silencieuse. SLOSS enfin abandonné par ses démons blancs transmute ici la rage de ses machines apaisées en accueillant les lignes à la fois géométriques et sinueuses de couleurs enfin émancipées des chaînes de l’exploitation.
Les pouvoirs de la noirceur s’expriment pleinement dans l’image d’une énorme clé de serrage, dont le maniement requerrait sans doute la collaboration de plusieurs ouvriers. On la voit dressée dans un coin, devant un grillage, commençant à rouiller lentement, selon des nuances d’ocre discrètes et moirées. Comme un ado des mauvais quartiers des undercommons, le dos appuyé contre un mur, oisif et perçu comme vaguement menaçant – peut-être parce qu’occupé à réfléchir. L’ombre nous en cache la partie supérieure. Qui sait quelle magie s’y cache, quelle autre libération s’y trame, encore à venir – quelle coloration inédite s’y déligne.
SLOSS, the Magic City de Cyril Bailleul va chercher au cœur des destructions et des oppressions industrielles du XXe siècle les résurgences d’autres rapports aux matériaux, aux machines, aux formes et aux ombres. Les lignes et les couleurs d’un passé toujours vivant nous familiarisent avec les ruines d’un avenir encore obscur, mais qu’il nous invite à imaginer avec une perçante sérénité. Texte : Yves Citton
Sloss Furnaces, originally opened in 1880, is a National Historic Landmark located in Birmingham, Alabama. At one time, the Sloss Furnaces was the largest manufacturer of pig iron in the world. The site itself, left untouched and exposed to the elements since its closure in 1970, is not only a monument to the Industrial Revolution, but a reminder of how Birmingham earned its nicknamed "The Magic City" due to the influx of jobs to the area.
I discovered Sloss Furnaces in 2018, and have since returned multiple times. This ongoing project centers on the natural patina of the buildings and equipment and the rapport between man and machine. Cyril Bailleul























Lext Avocats Paris 75016

PhotoDoc Paris Fair 2022

PhotoDoc Paris Fair 2022

PhotoDoc Paris Fair 2022

PhotoDoc Paris Fair 2022